Hassan Abd Alrahman est syrien, arrivé en France en 1998.  C’est adolescent qu’il commence à étudier le oud et les musiques traditionnelles du Moyen Orient. Mais le déclic musical se fera plus tard, alors qu’Hassan est fait prisonnier politique par le régime syrien. Aujourd’hui, sa palette musicale s’étend des répertoires traditionnels moyen-orientaux aux influences jazz et contemporaines. Lorsque nous le rencontrons chez lui à Villeurbanne le 20 Juin 2011, Hassan nous offre deux chants, le premier d’un poète syrien, le second d’un poète palestinien.

Alors qu’il s’apprête à devenir médecin diplômé en Syrie, Hassan pratique la musique pour son loisir. Dans le bruit et la lourdeur de l’espace carcéral, Hassan fait la rencontre d’un professeur de oud qui lui donne des cours. Alors même que la pratique musicale et l’écoute y sont interdites, avec une trentaine d’autres musiciens, pour la majorité, opposants au régime syrien, ils organisent des concerts clandestins et dissimulent leur propre fabrique d’instruments. Guitares, saz, percussions et violons y sont intégralement construits, à l’aide des rares matériaux qu’ils parviennent à rassembler : un bois, de très mauvaise qualité, qu’ils renforcent par du carton, de la pâte à pain ou un mélange de sucre et de confiture, le fil à coudre fait office de cordes.

En 1999, alors qu’il vient d’arriver à Paris, Hassan intègre le groupe « Shezar », un quartet de Jazz Oriental, toujours sur scène aujourd’hui. Après quatre années de vie à Strasbourg, il part vivre à Mayotte où il enseigne la musique en école. C’est en 2008 qu’ il emménage à Lyon et crée ses deux autres groupes. Madarat est l’un d’entre eux et est représentatif des influences variées ayant inspiré Hassan, composé d’un oud et d’un violon Jazz (joué par Jean-Pierre Rudolph). Aux airs traditionnels appris en prison, Hassan intègre d’autres couleurs musicales qui composent son environnement amical et artistique en France. Il revendique aujourd’hui une liberté de composition et d’interprétation au-delà des frontières de genres, de répertoires, mais aussi de disciplines scéniques ou instrumentales. Il accompagne régulièrement des créations théâtrales, et pratique désormais d’autres instruments comme le ney, ou nay (flute oblique originaire d’Asie centrale ), les percussions et le bouzouki (luth considéré comme l’instrument « national » en Grèce).

La musique traditionnelle syrienne est empreinte du métissage culturel moyen-oriental, de ses influences arabo-musulmanes, chrétiennes syriaques, juives séfarades, bédouines, kurdes… Damas a été longtemps capitale du monde arabe moyenâgeux, l’islamisation a enrichi une musique vouée aux rites (le mawlid, la danse du sama, les cérémonies de dhikr…). Au XVe siècle, Alep devient terre d’accueil des arabes-andalous fuyant l’Espagne, l’apport artistique qui en découle est symbolisé par la pratique musico-poétique : le muwachchah andalou. La musique traditionnelle syrienne connait un renouveau dans la première moitié du XXe siècle grâce à un enseignement jugé de grande qualité, lors de la constitution de groupes institutionnalisés voués à préserver une pratique alors majoritairement orale, du fait de l’arrivée d’une nouvelle lignée de musiciens luthiers réputés et de l’élargissement de l’ensemble oriental classique (qui admet désormais, en plus du oud, le kamân violon occidental, le nay et le qânûn cithare-psaltérion). Aujourd’hui, ce patrimoine ancien inestimable, marqueur de la mémoire collective de toute une communauté, est menacé par la guerre qui se prolonge. Dans les pays d’exil, des voix se lèvent en soutien au peuple syrien : Waed Bouhassoun, Racha Rizk, Ibrahim Keivo, Moslem Rahal en sont quelques-unes bien connues, auxquelles il importe d’ajouter celles, moins audibles mais de plus en plus nombreuses, des syriennes et syriens qui par la musique et le chant, gardent le lien avec leurs terres qu’ils ne peuvent plus fouler.

Pour aller plus loin…
> Consulter l’enquête complète: Hassan Abd Alrahman nous offre le récit d’une partie de sa vie et interprète plusieurs morceaux oud-voix, également une démonstration de Ney.
> L’article « Luths, luthistes et luthiers. Place de la musique et du ’ud dans la culture damascène », issu de la revue Damas, miroir brisé d’un Orient arabe,  sous la dir. d’Anne-Marie Bianquis et consultable à la bibliothèque municipale de Lyon.
> « Patrimoine culturel syrien« , un reportage de Françoise Degeorges dans l’émission « Couleurs du Monde » avec Fawaz Baker (musicien (oud), compositeur, ethnomusicologue et ancien directeur du Conservatoire d’Alep) et Wahed Bouhassoun (voix et oud)