L'événement Sur les pavés, le trad a intégré une Scottish des Frères Lambert à son répertoire commun, avec la chanson Un soir me prend envie et Le Rigodon des filles de Mens. Elle sera donc jouée en simultané dans une dizaine de villes de la région entre le 16 et le 17 septembre 2023.


La scottish est une danse populaire non traditionnelle, de couple, voisine et issue de la polka, mais d’un rythme plus lent. Contrairement à ce que son nom suggère, elle n’est pas écossaise. Née en Europe de l’Est, la scottish tire son nom de l’allemand schottische. En effet, si elle est dérivée de la polka, elle puiserait certains de ces éléments de l’écossaise. Dans les années 1850, elle est introduite en Grande Bretagne sous le nom de german polka, et en France en tant que schottische. Selon une volonté de rejet vis-à-vis de l’Allemagne, elle devient scottish lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale.

Quand les Frères Lambert en parlent, toutefois, c’est sous le nom de « sautiche ».

Partition réalisée par Hervé Faye.

En effet, cette scottish est attribuée aux Frères Lambert, Henri et Paul, musiciens du Jura. Elle a été collectée par Sylvestre Ducaroy en 1985 dans le hameau de Carrats (Loisia, Jura), dont les deux frères sont originaires.

Deux musiciens routiniers

Malgré deux parcours très différents, Henri et Paul Lambert sont des passionnés, et constituent des exemples de musiciens routiniers.

Le musicien routinier ne sait généralement pas lire la musique, il joue à l’oreille, de mémoire, il reproduit des gestes et s'inspire des répertoires locaux. Mais son rôle ne s’arrête pas là, et l'on fait également appel à lui pour animer, par sa verve, les festivités villageoises.

Henri, l’aîné des deux frères, a toujours vécu dans la maison familiale. Il apprend le violon à l’oreille, en observant les musiciens routiniers autour de lui, notamment le « père Badinet » :

« j’ai mis du temps. Paul dit trente ans, il y va un peu fort. J’ai bien mis quinze ans pour dire que ça rime [placer les coups d’archer où il faut] »[1].

Agricultueur paysan, braconneur, son temps libre et ses soirées, Henri les passe donc à jouer du violon pour lui-même et ses proches ou pour des bals de granges locaux. Auprès de Patrice Martinot, il confie son regret de n’avoir jamais appris le solfège, qui lui aurait permis d’élargir son répertoire, limité à ses « vieilles rengaines »[2].

Paul, de 9 ans son cadet, apprend tout d’abord lui aussi à jouer de la musique en observant les autres. Mais, s'il suit un temps l'exemple de son frère et commence par apprendre le violon, il se tourne très rapidement vers les instruments à vent, fabriquant flûtes et pipeaux en bois de sureau. C'est à l'âge de 16 ans qu'il achète sa première clarinette auprès d'un certain Eugène Brun, duquel il s'inspire pour apprendre à en jouer. Mais, de musicien routinier, Paul devient professionnel après avoir quitté son village natal. Il apprend la musique à l’usine de Saint-Didier-Au-Mont-Dore (métropole lyonnaise), puis à la société de musique de l’usine à Cousance (Jura), où il a fait « dix-sept ans à la clarinette ». Après avoir animé les fêtes des conscrits et les bals de granges, Paul a joué pour des bals de fêtes, accompagné d’un accordéoniste, en faisant payer ses prestations 200 francs [3].

Ni Paul ni Henri ne sont chanteurs, mais tous deux savent comment animer une assemblée, et Paul évoque son répertoire de « monologues » à Patrice Martinot. En l'occurrence, ce savoir routinier, à l’expression bien spécifique, ne semble pas avoir fait l’objet d’un apprentissage à proprement parler, mais plutôt d’une appropriation discrète, individualisée et personnelle, fondée sur l'observation : « jamais personne m’a fait voir » confie Henri, tandis que Paul se souvient comment Eugène Brun avait refusé de lui apprendre la musique[4].

Les deux frères se sont retrouvés et ont commencé à jouer ensemble lorsque Paul est revenu à Loisia, marquant ainsi toute une génération de collecteurs par la mémoire qu’ils portaient, loin d’une certaine folklorisation alors en marche.

Tous « ordinaires » qu’ils paraissent à première vue, les Frères Lambert sont pourtant devenus de véritables symboles d’une époque de collecte bien spécifique et d’un territoire vivant et créatif : « La Petite Montagne » (contreforts du Jura). En outre, leurs instruments illustrent une certaine influence et circulation dans le Jura et alentour : « repère de violoneux », celui-ci y domine fortement mais l’on y retrouve la clarinette, en particulier dans la vallée du Suran, où elle aurait été apportée au XIXe siècle avec l’immigration bressanne[5].


[1] MARTINOT Patrice, "Les frères Lambert", in : Cahiers d’éco-musique, Modal, La revue des musiciens routiniers, n°5, 1984, p6.

[2] Ibid., p3.

[3] Ibid., p4-5.

[4] Ibid., p6.

[5] Ibid., p10.

Sources, pour aller plus loin...

  • MARTINOT Patrice, "Les frères Lambert", in : Cahiers d’éco-musique, Modal, La revue des musiciens routiniers, n°5, 1984, p3-12.
  • Entretien avec Sylvestre Ducaroy, “Histoire d’un fonds”, in : CMTRA, Lettre d’information,n°59, Automne 2005.
  • CMTRA, « Les Frères Lambert », Hypotheses. Musiques, territoires, interculturalité. Le carnet du CMTRA, [en ligne] https://cmtra.hypotheses.org/1677

Crédits photo : Sylvestre Ducaroy