Préambule

En réponse à l’appel à témoins du CMTRA concernant le début du mouvement folk dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, et à l’occasion de l’opération lancée par le CMTRA sur le rigodon, il nous a semblé que ce texte pourrait s’inscrire dans ces actions et peut-être rappeler qu’à Grenoble, le mouvement folk était très vivant.

C’est un regard porté sur cette époque par d’anciens membres du folk-club de Grenoble « Le Rigodon »qui ont échangé leurs souvenirs sur cette époque, soit oralement, soit par écrit.

Le Rigodon qui a débuté en mars 1972 a été un des tout premiers folk-club en France. L’année 2022 marquait le cinquantenaire de sa création.

Les musiciens du Rigodon, parmi leurs activités musicales, ont collecté des rigodons et autres airs régionaux.

Issu du Rigodon, Absinthe (1975-1979), un des premiers groupes professionnels de musique traditionnelle en France a contribué, par son répertoire, à diffuser les airs issus de ses collectages en Dauphiné, Savoie, Auvergne… Certains ont été publiés par le biais du vinyle « Violoneux et Chanteurs du Dauphiné » (Chant du Monde / vol.4 LDX 74687).

Le contexte

Dans les années 70, grâce à l’impulsion donnée par son maire Hubert Dubedout, la métropole grenobloise était devenue un pôle de modernité et d’innovation technologique. La ville avait accueilli les jeux olympiques d’hiver en 1968. La Maison de la Culture (la MACU), inaugurée cette même année, était renommée. Sa scène recevait beaucoup de spectacles novateurs autour de la danse et de la musique.

La ville et son campus (situé en banlieue, à St Martin d’Hères) accueillaient une forte population étudiante venant de toute l’académie, et, parmi laquelle la présence d’étudiants étrangers était notable. Grenoble était une ville très attractive.

Marcel Rioffray: « …nous étions tous étudiants, donc de passage à Grenoble, pour une durée déterminée. Nous n’avions pas de racines grenobloises…» 

The Blue Moon Ramblers (1969-1973) ; C. Laborie (guit.), M.Rioffray (guit.), P. Legrand (banjo)

Les groupes à l'origine du Rigodon

The Blue Moon Ramblers (1969-1973)

« Les Blue Moon », formation de bluegrass et country, est le groupe pionnier du folk grenoblois. Les musiciens à son origine : Xavier Leclerc (mandoline), Patrice Legrand (banjo), Marcel Rioffray (guitare), seront bientôt rejoints par Christian Laborie (banjo, guitare) puis par Michel Rebreyend (violon) et Michel Doyard (contrebasse, percussions). C’est le groupe (folk) phare de la ville qui jouera et animera pendant cinq ans beaucoup de manifestations locales et régionales. Dès 1972, plusieurs des musiciens du groupe s’orienteront vers un répertoire d’expression française, puis fonderont le groupe Mandragore en 1974.

The Blue Moon Ramblers (1969-1973) ; C. Laborie (guit.) P. Legrand (banjo), M. Rebreyend (violon), M.Rioffray (guit.), M. Doyard (cuillers)

Les Gars aux chapeaux (1972-1973)

Fin 1971, Michel Doyard (guitare, contrebasse) rencontre Bernard Boyer et Yves Gonnet, tous deux guitaristes, étudiants à Grenoble, pour jouer du folk et du traditionnel anglais et américain.
Pierre Rebaud (violon, guitare, auto-harpe) se joint à eux. Ils créent Les Gars aux Chapeaux, avec Jennifer Stasack (guitare, chant, percussions), puis Lynette Marchant (chant).
Constitué pour l’essentiel de chansons américaines aux harmonies vocales soignées et d’airs instrumentaux d’Irlande, le répertoire du groupe va progressivement s’orienter vers des chansons traditionnelles françaises. Elles vont devenir une part importante de leur programme.

P. Cornier (bones) et Les Gars aux Chapeaux (1972-1973) : P. Rebaud (violon), Y Gonnet (guitare)

Les Gars aux Chapeaux (1972-1973), J. Stasack, M. Doyard, P. Rebaud

Grand-Père Mathurin folk (1971/72-1974)

Patrick Mazellier, un des pionniers du mouvement folk en France (violon, chant, accordéon diatonique, épinette), Pierre Cornier (percussions), Jean-Paul Pascal (guitare, accordéon diatonique) jouent régulièrement dans une formation dont Patrick Mazellier est le leader.
En juillet 1972,  à l’invitation de La Chanterelle de Lyon, ils joueront sous le nom du Rigodon aux « nuits de Sollies-Pont et de la vallée » (Var), puis au festival folk de Vesdun (Cher).
Ils seront rejoints par Jean-Pierre Simonnet (guitare, chant, dulcimer). Le répertoire du groupe est constitué pour l’essentiel de musiques françaises, québécoises, cajuns, irlandaises.

Grand-Père Mathurin folk (1971-72–1974), P. Cornier (percussions), P. Mazellier (violon), J-P Simonnet (guit.)

Grand-Père Mathurin folk (1971-72–1974), J-P Pascal (guit.), J-P Simonnet (guit.) P. Mazellier (violon), P. Cornier (percussions) avec M. Doyard (contrebasse)

Jean-Pierre Simonnet: « …à cette époque, j’étais ouvrier chez Berliet et jouais du rock. Je n’ai pas participé à la création du Rigodon. J’avais rencontré des musiciens du Bourdon au festival de Malaval (Ain) en 1971. J’ai sympathisé avec les musiciens du Grand-Père Mathurin Folk en juillet 72, d’abord à Sollies-Pont, puis à Vesdun. Le groupe était annoncé sous le nom Le Rigodon. Après Vesdun on est resté plusieurs jours ensemble, et quelques semaines après j’ai commencé à jouer avec eux. C’est grâce à l’influence de Ben, Patrick Mazellier et de Pierre Cornier, notamment, que j’ai adhéré au mouvement folk… ».

Dans tous ces groupes, tout le monde chante. Les chansons sont issues de recueils, à l’exemple des « chants (ou chansons) populaires de France » (où d’ailleurs), les recueils de Canteloube etc. Les ballades et complaintes, très bien représentées dans ces ouvrages, sont souvent reprises.
Pour la France ce sont aussi les collectages des musicien·nes du Bourdon (John Wright, Catherine Perrier…), les disques des festivals de Lambesc, Malataverne, de Grand-Mère Funibus, et autres productions de « Folk Song International International » qui font référence.
Les airs instrumentaux sont majoritairement des reprises d’enregistrements gravés sur vinyles pour les autres pays d’expression française comme le Quebec, la Louisiane des cajuns.
Ils proviennent également du revival folk anglais, d’Irlande, d’Ecosse ou des Etats-Unis pour les musiques country, bluegrass, old time…
Il est à noter que les musicien·nes sont majoritairement pluri-instrumentistes et autodidactes. Pour se former, les stages et les bals sont très rares, à cette époque. On joue surtout « d’oreille ».

Création du Rigodon, folk-club de Grenoble

Marcel Rioffray: « … le Rigodon était d’abord une réunion de musiciens qui avaient plaisir à se retrouver, faire de la musique ensemble (ou en groupes constitués). Nous (The Blue Moon Ramblers) avons rencontré les « folkeux » grenoblois de l’époque. Nous nous retrouvions, dans des hootenannies [1], et avons décidé, pour suivre l’exemple du Bourdon et de la Chanterelle, de fonder notre propre folk-club : le Rigodon… »


Ainsi, le Rigodon a été le regroupement de plusieurs formations d’étudiant·es, où la vie des groupes était rythmée par l’arrivée en faculté des un·es ou le départ des autres vers la vie active, voire l’armée (obligatoire) ou la coopération.
La ville de Grenoble voulant organiser des manifestations avec des musicien·nes folk, se posait la question de savoir comment rétribuer ces musicien·nes-amateur·ices (« …les cachets étaient alors souvent symboliques, et pas déclarés… »). Une structure était nécessaire. L’idée de créer un folk-club était déjà dans l’air, ce fut l’élément déclencheur.

Le folk-club le Rigodon

Le Rigodon a été créé en février 1972.

Marcel Rioffray: “Le 21 janvier 1972, il y a une soirée folk au foyer Fernand Texier avec une vingtaine de musiciens et chanteurs, nous n’étions pas encore le Rigodon… une soirée est organisée le 8 mars pour fêter l’événement, où le nom du folk-club Le Rigodon apparaît pour la première fois”. Une annonce est publiée par Marcel dans le N°19 du magazine Actuel (avril 1972).

1972-73 Marcel Rioffray (président) / Michel Doyard (secrétaire)
1973-76 Pierre Cornier (président)
1976-78 Bernard Cadoret (président) / Michelle Cadoret (trésorière)

Le folk-club le Rigodon

De 1972 à 1978-79 le folk-club a organisé et participé à des hootenannies [1], animations, bals, stages, ateliers [2], et à des concerts avec les formations membres du Rigodon, ou avec des groupes invités.
La plupart des collectages régionaux effectués en Dauphiné, Savoie ainsi qu’en Auvergne et en Limousin ont été une des oeuvres communes du Rigodon.
N’ayant pas de local fixe, le folk-club organisait la plupart de ses activités sur le campus universitaire de St Martin d’Hères, à la résidence Hector Berlioz.
En décembre 1972, un grand concert est donné au théâtre de Grenoble rassemblant Les Blue Moon Ramblers, Les Gars aux Chapeaux, Grand-Père Mathurin Folk et le groupe Peillavene-Montgolfière [3] [4].

Répertoire, collectages, instruments

Au début des années 70, tout était à faire pour des citadin·es d’un milieu universitaire. Il fallait d’abord découvrir, assimiler, et essayer de comprendre une musique essentiellement rurale. Nous n’en connaissions pas encore tous les codes, les modes de transmission, le jeu et les occasions de jeu.
Déjà amorcé en 1972, dès 1973, le brassage musical, l’émulation entre les groupes et les premiers collectages, font assez vite évoluer le répertoire vers les chansons et les airs de tradition française.
Les vielles à roue, cornemuses (Ponsard), cabrettes (Fabre, puis Ruols) et les accordéons diatoniques (Hohner à 2 rangées) remplacent désormais les dulcimers, banjos, harmonicas, auto-harpes. Même la guitare, l’instrument commun à toutes et tous, disparaît quasiment.
La mandole (M. Ladurelle, puis D. Emmons) et la mandoline feront aussi leur apparition dans ce répertoire régional. «…hou ! Ça sonne bien ensemble » (mais on ne connaissait pas encore Planxty !).
Il fallait se procurer ces instruments traditionnels qui n’étaient pas toujours de bonne facture, et trouver, aussi, de bon·nes musicien·nes pour apprendre à en jouer. Christian Laborie, Pierre Rebaud fréquentent assidument les musées et font des relevés d’instruments anciens afin d’établir des plans de fabrication d’instruments de qualité.

A partir de 1974 les collectages se multiplient et circulent entre les groupes grâce à P. Mazellier en Vivarais, Dauphiné, Savoie, Auvergne, M. Rioffray en Auvergne (Joseph Perrier…), Trièves, P. Rebaud en Savoie, Cantal, Creuse, Dauphiné, M. Doyard en Savoie, Dauphiné, Auvergne, J-P Simonnet en Trièves, Auvergne, Rouergue. P. Mazellier rencontre Charles Joisten, puis Emile Escalle, M. Doyard découvre Camille Roussin, etc… « … l’accueil de ceux que nous collections était chaleureux, et pourtant on arrivait souvent d’un autre département, parfois à plusieurs, avec les cheveux longs, dans une voiture (comment dire ?) …»

Les documentations livresques, plus pointues, sont de plus en plus souvent consultées, désormais on a des pistes de recherche ! Merci encore à Georges Delarue qui a vite balayé certaines de nos jeunes certitudes.
D’emblée, se posait la question de trouver comment adapter une musique monophonique à la musique polyphonique que nos instruments appelaient, sans la dénaturer.

Comment passer d’une pratique de musicien·ne traditionnel·le solitaire, reconnu·e dans son territoire, à une musique de groupe (avec des instruments différents) ? Ne cherchant pas à faire couleur locale, on refusera les exemples donnés par les groupes folkloriques que l’on connaissait.
Les chansons choisies sont plus engagées socialement, plus revendicatives. Pour ce faire on en modifiera parfois le texte.

Pendant toute cette période le Rigodon animera quantité d’événements en Rhône-Alpes, Massif-Central, Limousin, jouera au bal du festival de la Couturanderie (St Laurent du Cher 1975) etc…

1974- 1975, de nouveaux projets musicaux émergent, de nouveaux groupes sont en gestation.

Les groupes issus du Rigodon

Mandragore

  • Mandragore (1974-1978) : Marcel Rioffray, Xavier Leclerc, Myrène Laborie, Christian Laborie, Monique Senn, Patrick Senn, Pierre Rebaud, Michel Doyard.
  • Mandragore (1978-89): Marcel Rioffray, Xavier Leclerc, Pierre Antoine, André Piolat, Claire et Dominique Vallet.
    A son répertoire de folk français Mandragore ajoutera des airs de musique ancienne et renaissance, avec des instruments comme le psaltérion, le cromorne, le clavecin, et, bien plus tard, la viole de gambe et le théorbe.

Mandragore, P Rebaud, M Laborie, X Leclerc, M Rioffray, C Laborie

Mandragore

1976. Christian Laborie ouvre son atelier de lutherie

« … j’ai ouvert mon atelier de lutherie en 1976, période de renouveau des musiques anciennes et traditionnelles. J’ai été l’un des premiers luthiers à reprendre la fabrication de violes de gambe et de vielles à roue. Après avoir fait des relevés dans plusieurs musées, j’ai réalisé de nombreuses copies d’instruments anciens… »

Christian exposera ses instruments à St Chartier cette même année, puis se spécialisera dans la fabrication de contrebasses de renommée internationale.

Absinthe (1975-1979)

Jean-Paul Autin (clarinette, banjo ténor, pipeau, chant), Patrick Mazellier (violon, mandoline, mélodéon, chant), Jean-Pierre Simonnet (mandole, guitare, cabrette, chant).
Fin 1975, J-P Autin du groupe Peillavene-Mongolfière, P. Mazellier, J-P Simonnet se réunissent avec la volonté de jouer en concert un répertoire axé sur leurs collectages en Dauphiné, avec un son et des arrangements originaux… et des compositions.
En bal, M. Doyard (violon, percussions) se joint au trio.
En 1978, Patrick Chanal (violon, bouzouki, banjo ténor) et Bruno Priez (accordéon diatonique, vielle à roue) rejoignent Patrick Mazellier et Jean-Pierre Simonnet pour une deuxième version du groupe.

Absinthe. J-P Autin, P Mazellier, J-P Simonnet

J-P Simonnet : « … au début des années 70 on était tous des musiciens amateurs avec un répertoire éclectique. Quelques années plus tard, on jouait déjà très régulièrement, alors on a pu tout laisser tomber en 1976 pour ne faire que de la musique. Avec Absinthe, nous avons travaillé sur un répertoire régional basé essentiellement sur nos collectages, qu’on a diffusés avec l’étiquette folk français. Pendant les cinq années d’existence du groupe on a beaucoup joué en concerts, festivals, bals, TV et radios en France et à l’étranger. Entre autres choses on aura eu le privilège d’animer le premier bal de St Chartier et celui de voir publier au « Chant du Monde » un 33 tours regroupant quelques uns de nos collectages… »

Absinthe. J-P Autin, J-P Simonnet, M Doyard, P Mazellier

Absinthe. J-P Autin, P Mazellier, J-P Simonnet

A l’approche des années 80, leur diplôme d’enseignant en poche, plusieurs des musiciens-étudiants à l’origine du folk-club ou faisant partie des groupes constituant le Rigodon devront quitter la région du fait de leurs affectations respectives. Le service militaire étant obligatoire, d’autres partiront pour 2 ans en coopération à l’étranger. Certains entrent dans la vie active.
Le boom des festivals s’estompera peu à peu. L’appellation revendiquée « folk français » va progressivement disparaitre pour devenir par la suite « musique traditionnelle ».
Dans un mouvement en mutation, qui se structure, se professionnalise et qui s’institutionnalisera, quelques uns vont poursuivre dans cette voie. D’autres s’orienteront vers des univers musicaux différents tels que la musique ancienne ou baroque, la chanson, le jazz.
Faute d’énergies nouvelles, sans successeurs, le folk-club s’est arrêté.

Aujourd’hui, les anciens membres du Rigodon, tous musiciens, gardent une oreille attentive et un regard curieux sur les évolutions du rigodon au sein des musiques traditionnelles actuelles.

Par Jean-Pierre Simonnet

Avec ses remerciements pour leur collaboration à Marcel Rioffray, Michel Doyard, Christian Laborie, Pierre Rebaud, Jean-Paul Autin, Xavier Leclerc.


[1] les hootenannies étaient des rassemblements de musiciens folk permettant à tous les participants de s’exprimer (sans hiérarchie), un peu à l’image des boeufs en jazz ou des sessions irlandaises d’aujourd’hui.

[2] Les ateliers de danses traditionnelles ont débuté en 1976 (les mercredis de 19h à 21h à la résidence H-Berlioz). A cette époque, peu de gens connaissaient les danses traditionnelles, les bals étaient très rares.

[3] Peillavene-Montgolfière: Georges Simon (violon, harmonica), Jean-Paul Autin (guitare, mandoline, violon), Luc Perrin (guitare, harmonica, chant), «Banjo» (banjo, guitare), Denis Cisilino (percussions), Emile Mathieu (basse).

[4] Jim Brougham (guitare, chant), Luc Perrin (guitare, chant), Alain Piton (violon), Pierre Marinet (violon): ces musiciens grenoblois avaient des échanges et parfois des collaborations avec des musiciens du folk-club, de même que les ardéchois Stéphane Méjean (accordéon diatonique), ainsi que Bruno Priez et Patrick Chanal (qui rejoindront Absinthe en 1978).